Bande organisé
Porte de la Chapelle, Paris, 2025
Le quartier de la Chapelle, et plus spécifiquement la Porte de la Chapelle, incarne un microcosme parisien à la fois cosmopolite et contrasté. Il se trouve à la croisée de dynamiques migratoires successives : une immigration chinoise historiquement implantée y côtoie l’arrivée plus récente de réfugiés afghans, tandis que les barres d’HLM témoignent à la fois du passé ouvrier du quartier et des fractures sociales contemporaines. Marqué par la précarité, la toxicomanie et une réputation qui dépasse largement les frontières de l’arrondissement, cet espace urbain est aussi devenu un lieu de création et d’expression pour une jeunesse en quête de reconnaissance.
C’est précisément cette réputation qui attire les jeunes artistes et vidéastes, faisant de ces rues et de ces immeubles des décors bruts pour des clips de rap. Dans un Paris où l’image du quartier façonne l’identité de ses habitants, la Porte de la Chapelle s’impose comme un territoire à revendiquer, un emblème à inscrire dans l’imaginaire collectif par le prisme de la caméra. Dire « j’habite à Porte de la Chapelle » devient ainsi une affirmation identitaire, presque un défi adressé à l’image élitiste de la capitale.
Cette série de photographies a été réalisée lors du tournage d’un clip, chez moi, dans ce quartier qui est devenu le mien il y a trois ans. Ces tournages, bien que souvent improvisés avec des moyens limités, dégagent une intensité quasi cinématographique. Tout y est pensé et orchestré avec précision : les placements, les éclairages, les postures et les angles de prise de vue, transformant chaque scène en un véritable plateau de tournage. Sans autorisation officielle ni routes bloquées, les jeunes s’approprient l’espace avec une concentration et une rigueur qui contrastent avec l’image anarchique que l’on pourrait s’en faire. L’ambition est toujours la même : impressionner. L’image doit être percutante, autant pour l’audience que pour les proches des rappeurs et des figurants, venus nombreux assister à la performance.
Le quartier de la Porte de la Chapelle, s’il est souvent réduit à ses problématiques sociales, est aussi un espace où s’élaborent des narrations alternatives. Ici, les tournages de clips sauvages ne sont pas de simples mises en scène de violence ou de défiance : ils constituent une manière de s’approprier un territoire, de le redéfinir et de lui conférer une signification nouvelle. Dans ces vidéos, la rue devient théâtre, l’immeuble devient coulisse, et les objets du quotidien – battes de baseball, couteaux, fumigènes – se muent en accessoires symboliques. Cette série de photographies, capturant ces instants en noir et blanc, se veut un hommage à la rigueur et à la coordination de ces jeunes collectifs, dont l’organisation minutieuse confère à ces tournages une dimension quasi-professionnelle.